Est-ce le vent ? lyrics
Est-ce le vent ? lyrics
Est-ce le vent qui m’apporte tout à coup ces nouvelles
Là-bas des signaux des cris
et puis rien
la nuit
C’est le vent qui secoue et qui chante
Il traîne derrière lui tout un fracas et une lente poussière
quelque chose de mou
quelque choc qui est la paresse
une de ces méduses mortes qui pourrissent
en crachant une odeur rose
c’est le vent qui pousse ces pauvres bateaux bleus
et leur fumée morose
qui secoue ces arbres malheureux
et c’est lui encore qui enivre les nuages
il rase l’herbe
Je sais que c’est lui qui pousse jusqu’à moi
cette morne lumière et ces ombres sanglantes
c’est lui toujours qui fait encore une fois battre mon cœur
Ainsi ce coup de poing que j’entends et qui frappe une poitrine nue
cette galopade de chevaux ivres d’air
Il découvre le chemin qui mène là-bas
dans ce pays rouge qui est une flamme
Paris que je vois en tournant la tête
Il me pousse en avant
pour fuir cet incendie qu’il alimente
Je m’accroche au bord de cette terre
j’enfonce mes pieds dans le sable
ce sable qui est une dernière étape
avant la mer qui est là
qui me lèche doucement comme un brave animal
et qui m’emporterait comme un vieux bout de bois
Je ne lutte pas
j’attends
et lui me pousse
en soufflant toutes ses nouvelles
en me sifflant les airs qu’il a rapportés de là-bas
il s’écrie que derrière moi
une ville flambe dans le jour et dans la nuit
qu’elle chante elle aussi
comme au jugement dernier
Je jette tout mon poids sur ce sol chaud
et je guette tout ce qu’il dit
Il est plus fort
Mais lui cherche des alliés
il est plus fort
il cherche des alliés qui sont le passé et le présent
et il s’engouffre dans mes narines
il me jette dans la bouche une boule d’air
qui m’étouffe et m’écoeure
Il n’y a plus qu’à avancer
et à faire un grand pas en avant
La route est devant moi
il n’y a pas à se tromper
elle est si large qu’on n’en voit pas les limites
seulement quelques ornières
qui sont les sillages des bateaux
cette route vivante qui s’approche
avec des langues et des bras
pour vous dire que cela ira tout seul
et si vite
Cette route bleue et verte
qui recule mais qui avance
qui n’a pas de cesse et qui bondit
Et lui toujours qui siffle une chanson de route
et qui frappe dans le dos
et qui aveugle pour que l’on ait pas peur
Moi je m’accroche au sable qui fuit entre mes doigts
pour écouter une dernière fois encore
ce tremblement et ces cris
qui firent remuer mes bras et mes jambes
et dont le souvenir est si fort
que je veux l’écouter encore
que je voudrais le toucher
Et lui ne m’apporte qu’un peu de ce souffle
un peu de la respiration du grand animal
bien aimé
Encore trois jours sur cette terre
avant le grand départ comme l’on dit
Me voici tout habillé enfin
avec une casquette et un grand foulard
autour du cou
les mains rouges et la gueule an avant
Me voici comme un grand lâche
qui oublie tout
et qui sait encore tout de même
que les autres dans le fond derrière
derrière les forêts et toute la campagne
au milieu de leur ville qui bouge comme une toupie
les autres les amis ont le mal de terre
et ils sont là qui attendent on ne sait quoi
un incendie ou bien une belle catastrophe
ces autres que j’oublie
Comme ils étaient déjà morts
pâles et crachant ce qu’ils appellent leur âme
je renifle moi pendant ce temps-là
avec mon nez en coupe-vent
l’odeur du sel et l’odeur du charbon
Encore trois jours et voici la mer
que je vais toucher avec mes pieds de coton
et puis il y aura là-bas plus loin derrière
un morceau de verre
qui deviendra un fil de verre
ou un nuage
on ne saura plus très bien
On aura juste le temps de regarder une fois
et de dire au revoir
et puis il n’y aura plus rien du tout
la terre sera couchée
et la mer s’élèvera dans l’aube bleue
Encore trois jours pour penser à ceux qui restent
et qui étaient comme des membres
qu’on ne pouvait détacher de soi
sans souffrir
et voilà
voilà mon corps qui se brise en mille morceaux
à cause de l’éclatement et de l’impatience
et qui devient comme un peuple de fourmis
que tout l’air rend ivres.
Trois jours que cette tempête crache et vomit
tout ce qu’elle a avalé sur sa route
trois jours que rien n’est plus sacré
pour ceux qui étaient bien tranquilles
au coin du feu
et qui maintenant ont peur
que tout ce qu’il possédaient
leur dégringole sur le crâne
Trois jours que cette mer qui sifflait
pour charmer les voyageurs
se bat
contre cette terre qui allait la nourrir
et qui se dresse aujourd’hui pour chasser
toux ceux qui voulaient oublier
leur pays
Maintenant il semble qu’une heure
une treizième heure
ait sonné
et on ne l’attendait
Tout ce monde qu’on allait quitter
tremble et rage
et puis celle qui semblait si bonne
si douce
a pris une grande colère
on la voit qui serre ses milliers de poings
et qui les jette en avant
pour faire peur
Alors il faut attendre encore
attendre les secondes et les journées
qui glissent tout de même
On n’a plus besoin de s’accrocher
ni au sable ni à la mémoire
on est cloué là comme un vieux papier
contre un mur
On regarde ce qui se passe dans la rue
à travers la vitre d’une fenêtre
on en ferme les yeux
et on entend le morceau de musique
que joue le vent
avec ses coups de rafales
et ses flûtes dans les fentes
Allons Allons on trouvera bien de quoi se consoler
Ce n’est pas la peine tout de même de se tourmenter
et de croire que tout cela va finir d’un seul coup
On rira encore un peu et puis on boira beaucoup
tellement que la terre et la mer
tourneront
comme elles le font tous les jours et toutes les nuits
Allons Allons ce n’est pas la peine de pencher
la tête et de se dire come je suis malheureux
et de faire des choses et des choses
qui ne serviront pas
On n’a qu’à se laisser glisser
comme ça
dans le sommeil et dans la fatigue
et puis oublier tout ce vent
qui rage
parce qu’il est tout de même impuissant
et qu’il ne fera pas cette fois encore
crever la terre
Allons Allons mettons nos gants
nos manteaux et nos drapeaux
en attendant la pluie et la nuit
en attendant le départ
Voilà la mer et bientôt le soleil
Voilà la mer et cette brise qui est sucrée
Voilà une dernière fois la terre
qui se secoue comme un chien couvert de puces.
- Artist:Philippe Soupault