Le lézard lyrics

Songs   2024-08-17 07:40:32

Le lézard lyrics

ARGUMENT

Ce petit texte presque sans façon montre peut-être

comment l'esprit forme une allégorie puis à volonté la

résorbe. Plusieurs traits caractéristiques de l'objet

surgissent d'abord, puis se développent et se tressent

selon le mouvement spontané de l'esprit pour conduire

au thème, lequel à peine énoncé donne lieu à une courte

réflexion a parte d'où se délivre aussitôt, comme une

simple évidence, le thème abstrait au cours (vers la fin)

de la formulation duquel s'opère la disparition

automatique de l'objet.

Lorsque le mur de la préhistoire se lézarde, ce mur de fond de jardin (c'est le jardin des générations présentes, celui du père et du fils), — il en sort un petit animal formidablement dessiné, comme un dragon chinois, brusque mais inoffensif chacun le sait et ça le rend bien sympathique. Un chef-d'œuvre de la bijouterie préhistorique, d'un métal entre le bronze vert et le vif-argent, dont le ventre seul est fluide, se renfle comme la goutte dé mercure. Chic ! Un reptile à pattes ! Est-ce un progrès ou une dégénérescence ? Personne, petit sot, n'en sait, rien. Petit saurien.

Par ce mur nous sommes donc bien mal enfermés. Si prisonniers que nous soyons, nous sommes encore à la merci de l'extérieur, qui nous jette, nous expédie sous la porte ce petit poignard. À la fois comme une menace et une mauvaise plaisanterie.

Ce petit poignard qui traverse notre esprit en se tortillant d'une façon assez baroque, dérisoirement.

Arrêt brusque. Sur la pierre la plus chaude. Affût.? ou bien repos automatique.? Il se prolonge. Profitons-en changeons de point de vue.

Le LÉZARD dans le monde des mots n'a pas pour rien ce zède1 ou zèle tortillard, et pas pour rien sa désinence en ard, comme fuyard ; flemmard, musard, pendard, hagard. Il apparaît, disparaît, réapparaît Jamais familier pourtant. Toujours un peu égaré, toujours cherchant furtivement sa route. Ce ne sont pas insinuations trop familières que celles-ci. Ni venimeuses. Nulle malignité : aucun signe d'intelligence à l'homme.

Une sorte de petite locomotive haut-le-pied. Un petit train d'allégations hâtives, en grisaille, un peu monstrueuses, à la fois familières et saugrenues, — qui circule avec la précipitation fatale aux jouets mécaniques, faisant comme eux de brefs trajets à ras de terre, mais beaucoup moins maladroit, têtu, il ne va pas buter contre un, meuble, le mur : très silencieux et souple au contraire, il s'arrange toujours, lorsqu'il est à bout de course, d'arguments, de ressort dialectique, pour disparaître par quelque fente, ou, fissure, de l'ouvrage de maçonnerie sur lequel il a accompli sa carrière...

Il arrive qu'il laisse entre vos doigts le petit bout de sa queue.

... Une simple gamme chromatique ? Un simple arpège ? Une bonne surprise, après tout, si elle fait d'abord un peu sauter le cœur. On reviendra près de cette pierre.

Ou bien on l'aperçoit tout à coup, plaqué contre la muraille : il était là, immobile.

Il a, dans sa seule silhouette alors, quelque chose d'un peu redoutable. C'est son côté trop dessiné, son petit côté dragon, ou poignard.

Mais on se rassure aussitôt : il n'est pas du tout aimanté vers vous (comme sont les serpents). Il vous laisse, mieux que l'oiseau, le loisir de le contempler un peu : il lui est naturel" de: s'arrêter ainsi sur la pierre la plus chaude... Hésitation ? Anxiété ? Stupeur ? Délices de Capoue.?2 Affût.?

Ennemi de la mouche au sol ! On ne peut dire qu'il ne ferait pas de mal à une mouche, puisqu'il, s'en nourrit. Il faut bien se nourrir de quelque chose quand on est un petit bibelot ovipare, obligé d'assurer soi-même sa perpétuation. Comme le bougeoir si par exemple ou quelque petit bronze sur la cheminée du docteur: s'offrait un spasme, montrait sa brève contorsion spécifique. Il lance alors sa petite langue comme une flamme. Ce n'est pourtant pas du feu, ce ne sont pas des flammes qui sortent de sa bouche, mais bien une langue, une langue très longue et fourchue, aussi vite rentrée que sortie, — qui vibre du sentiment de son audace. Et pourquoi donc s'affectionnent-ils aux surfaces des ouvrages de maçonnerie ? À cause de la blancheur éclatante (et morne étendue) de ces sortes de plages, laquelle attire à s'y poser les mouches, qu'eux guettent et harponnent du bout de leur langue pointue.

Le LÉZARD suppose donc un ouvrage de maçonnerie, ou quelque rocher par sa blancheur qui s'en rapproche. Fort éclairé et chaud.

Et une faille de cette surface, par où elle communique avec la (parlons bref) préhistoire... D'où le lézard s'alcive3 (obligé d'inventer ce mots).

Et voici donc, car l'on se saurait trop préciser ces choses, voici les conditions nécessaires et suffisantes..., pratiquement voici comment disposer lés choses pour qu'à coup sûr apparaisse, un lézard.

D'abord un quelconque ouvrage de maçonnerie, à la surface éclatante et assez fort chauffée par le soleil. Puis une faille dans cet ouvrage, par quoi sa surface communique avec l'ombre et la fraîcheur qui sont en son intérieur ou de l'autre côté. Qu'une mouche de surcroît s'y pose, comme pour faire la preuve :qu'aucun mouvement inquiétant n'est en vue depuis l'horizon... Par cette faille, sur cette surface, apparaîtra alors un lézard (qui aussitôt gobe la mouche).

Et, maintenant, pourquoi ne pas être honnête, a posteriori ? Pourquoi ne pas tenter de comprendre ? Pourquoi m'en tenir au poème, piège au lecteur et à moi-même? Tiens-je tellement à laisser un poème, un piège ? Et non, plutôt, à faire progresser d'un pas ou deux mon esprit ? À quoi ressemble plus cette surface éclatante de la roche ou du môle de maçonnerie que j'évoquais tout à l'heure, qu'à une page, — par un violent désir d'observation (à y inscrire) éclairée et chauffée à blanc ? Et voici donc dès lors comment transmuer les choses :

Telles conditions se trouvant réunies :

Page par un violent désir d'observation à y inscrire éclairée et chauffée à blanc. Faille par où elle, communique avec l'ombre et la fraîcheur qui sont à l'intérieur de l'esprit. Qu'un mot par surcroît s'y pose, ou plusieurs mots. Sur cette page, par cette faille, ne pourra sortir qu'un... (aussitôt gobant tous précédents mots)... un petit train de pensées grises, — lequel circule ventre à terre et rentre volontiers dans les tunnels de l'esprit.

1. la dernière lettre de l'alphabet2. http://www.expressio.fr/expressions/les-delices-de-capoue.php3. On pourrait dire : s'esquive de l'alcôve (C.G.)

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  • country:France
  • Languages:French
  • Genre:Poetry
  • Official site:http://francisponge-slfp.ens-lyon.fr/
  • Wiki:https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Ponge
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